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Saint-Yvon se souvient 1942-2017

Saint-Yvon se souvient 1942-2017

Soixante quinzième  de la Torpille de St-Yvon

Au printemps 1942, quand les Québécois ont appris que des sous-marins allemands s’aventuraient jusqu’à torpiller des navires dans le fleuve Saint-Laurent, en face de Rimouski, ils réalisèrent que la guerre n’était pas aussi lointaine que certains voulaient leur faire croire et que l’ennemi était à leurs portes.

On ne sait pas trop quand le premier sous-marin allemand se pointa au Québec, mais on sait que le 11 mai 1942, le gardien du phare de Cap-des-Rosiers appela sans attendre la base militaire de Gaspé, après avoir appris qu’un pêcheur gaspésien avait aperçu un « tuyau de poêle » qui dépassait de l’eau. Plusieurs autres pêcheurs s’étaient également plaints de filets déchiquetés, ce qui semblait confirmer la thèse d’un sous-marin et le gardien du phare fut convaincu que l’étrange sillon qu’il avait vu dans la journée avait été causé par un périscope.

Malheureusement, le personnel de la base de Gaspé ne parlait pas français et notre gardien ne parlait pas anglais. Son cri d’alarme demeura donc incompris pendant quelques jours. Mais le gardien du phare avait vu juste : le « tuyau de poêle » était bel et bien le périscope du sous-marin U-553 sous les ordres du commandant Karl Thurmann. Une heure avant minuit, en ce 11 mai 1942, le sous-marin fit surface dans la nuit et aperçut le navire SS Nicoya. Deux torpilles furent lancées dans sa direction, mais une seule suffit. Le SS Nicoya coula immédiatement. Deux heures et 45, plus tard, c’est le cargo néerlandais Leto qui fut coulé. Les forces de l’armée et de la marine canadienne avaient été complètement prises par surprise. Il y eut heureusement des survivants et les habitants de Cloridorme furent d’une aide précieuse dans l’évacuation des rescapés.

Ces premiers succès encouragèrent les Allemands à envoyer de nouveaux sous-marins dans l’embouchure du Saint-Laurent. Les attaques se multiplièrent jusqu’en octobre 1942.

Nous allons vous raconter un fait divers qui s’est déroulé à St-Yvon en septembre 1942.

Un certain monsieur Robert W. Merriam de Greewich au Connecticut, étudiant à l’Université Harvard Mass., travaillait au chantier maritime Liberty à Providence. C’était un emploi d’été et il travaillait 12 h par jour, 6 jours par semaine pour construire les bateaux Liberty que les sous-marins nazis coulaient plus vite qu’eux pouvaient les construire. Quand la session d’automne arriva, il décida de prendre congé de l’Université et de voyager vers le nord avec sa vieille moto Indien Scout pour rendre visite à des cousins et des camarades de classe. Sa moto était usagée une 1928, mais en bon état, car la grande dépression lui avait appris à entretenir son bien.

Il apporte avec des ustensiles de camping, un sac de couchage, un imperméable en caoutchouc noir, des utilités, un kit de réparation de pneus, pompe à air et d’autres petits objets utilitaires. Un de ses cousins demeurait tout près de la frontière à North Hatley, au Québec, c’était une ville anglophone. Après quelques visites au New Hampshire il se dirige vers le Canada. Aux douanes canadiennes, on l’informe que la gazoline est rationnée. Mais par contre, pas le kérosène. Chez son cousin, il mit du kérosène dans sa moto pour voir si elle fonctionnerait avec ça. Il ne pouvait pas démarrer avec le kérosène, mais, en dosant le kérosène avec de la gazoline pour le démarrage, sa vieille moto une fois en marche roulait avec du kérosène. Il attachait solidement son gallon de gazoline en arrière et ainsi plus de problème de rationnement. Aucun problème d’approvisionnement ! Il se dirigea vers la ville de Québec avec l’idée de faire le tour de la péninsule gaspésienne. La première nuit, pas mal sali par la boue, il s’est présenté au Château Frontenac. La réceptionniste l’a regardé un peu de travers, mais elle lui a désigné une chambre.

Le voyage allait bon train. Après le luxe du Château Frontenac, la vie était plus primitive. Monsieur Merriam, notre voyageur, dormait sur le sol, sous les ponts qui lui faisaient un abri. La température était fraîche. Il a même subi des averses de neige.

Le dimanche 6 septembre 1942, tout a changé. Les nouvelles de la guerre étaient censurées. Les États-Unis savaient que le Canada était en guerre depuis plus de 2 ans, mais les gens ne connaissaient pas ce que les bateaux allemands faisaient sur le fleuve Saint-Laurent. Hitler étant déterminé d’empêcher les bateaux de ravitaillement canadiens d’atteindre l’Angleterre, coulait les bateaux canadiens. À la fin de 1942, les bateaux allemands avaient coulé 26 navires sur le Saint-Laurent et tué des centaines d’hommes. Juste avant midi, le 6 septembre, sur le chemin poussiéreux qui entoure la Gaspésie, monsieur Merriam entre dans un petit village de pêche du nom de St-Yvon. Il lui restait peu de kérosène et il a arrêté devant le seul magasin en vue. Tout d’un coup, un gang de pêcheurs a sauté sur lui. Quelques hommes l’ont retenu, tandis que les autres ont roulé sa moto jusqu’à une grange tout près. Leur jacassage en français n’avait aucun sens pour lui. Mais à les regarder, il a vu qu’ils plaçaient une corde au-dessus de la porte pour le pendre. C’était vraiment ce qu’ils voulaient faire, mais il se demandait pourquoi. Tout allait mal. Ils ne se comprenaient pas du tout.

Depuis le début de la guerre, le rationnement sur tous les produits avait empêché le tourisme de se rendre en Gaspésie. Et les Gaspésiens étaient au courant de la présence des bateaux allemands et les sous-marins. Ils avaient été témoins de nombreux coulages de bateaux et ils avaient secouru des gens avec leurs petits bateaux de pêche. Les gens étaient très nerveux et suspicieux.
La journée que ce monsieur Merriam est arrivé, les résidents étaient nerveux parce que la rumeur courait que les Allemands arrivaient au village et que par le fait même il en était un. Ses bottes noires, son imperméable en caoutchouc noir, sa moto noire et rouge sans chrome et le matériel de camping militaire, tout ça alimentait le fait qu’il devait être un Allemand, un Sturmtruppen c’est-à-dire une unité d’élite de l’armée allemande. Comme on s’apprêtait à le pendre, quelqu’un est allé chercher le prêtre local.

Dans ce village peu nanti est arrivé le prêtre, monsieur James Leblanc, dans une limousine LaSalle avec son chauffeur, c’est-à-dire son bedeau. La foule s’est calmée. Le prêtre parlait l’anglais qu’il avait appris au Séminaire à Chicago. Il a écouté son histoire et a vite constaté qu’il n’était qu’un simple touriste. Il l’a fait monter dans son auto et l’a conduit au Grand Étang en lui promettant de revenir vers minuit pour lui remettre sa moto. Il mangea un bon repas de truite fraîche. Le lendemain matin les Godfrey ont rempli le réservoir de sa moto de kérosène et il est reparti. Comme la pluie tombait, il s’est mis à l’abri sous un pont. Trois pêcheurs l’ont approché et ont bondi sur lui. Une reprise de St-Yvon. Ils lui ont enlevé sa moto et l’ont conduit dans une maison. Un pêcheur est allé chercher quelqu’un en autorité et les deux autres l’ont gardé. Il y avait une femme et une trallée d’enfants. Croyant qu’il avait faim, la dame lui a offert un bol rempli d’yeux de morue bouillis. Pas le plat le plus appétissant, mais ça avait l’air un délice dans cette région. Il a pensé qu’il était mieux d’en manger. Après une demi-heure, un soldat de l’Artillerie de la côte Canadienne est arrivé de son poste à Pointe à la Renommée. Il a bien vu qu’il était inoffensif et l’a laissé partir.

En 1961, lui et sa femme Nancy accompagnés de leurs deux jeunes enfants, Susan et Paul, sont venus visiter la Gaspésie. À St-Yvon ils ont vu une pancarte au bord du chemin indiquant « Torpille allemande à visiter » et ils sont restés chez les Godfrey délectant un autre repas de truite. En même temps, monsieur Merriam a eu l’occasion de parler avec la maîtresse de poste (qui était ma mère, car nous avons eu le bureau de poste de 1935 à 1968) et elle se souvenait de sa visite en 1942. Elle avait gardé un morceau de la torpille (la grosseur d’un pamplemousse) et elle lui a donné et il l’a confié au Musée de Guerre navale à Newport ainsi que la vieille moto rouge et noir.

Texte d’ Yvonne Bernatchez
Publié le 25 septembre, 2017  Dans No 07 – Septembre 2017
Photos : Jacques-Noel Minville

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